L'aspect psychologique de l'opération des mâchoires : Interview d'un orthodontiste-psychothérapeute
Bonjour Dr. Benkimoun et merci d’avoir accepté de répondre à quelques questions pour nos lecteurs. Il nous a semblé extrêmement intéressant et pertinent de pouvoir vous interroger sur l’aspect psychologique de la convalescence de la chirurgie des mâchoires, étant donnée votre “double casquette”… Pouvez-vous s’il vous plait vous présenter et nous en dire d’avantage sur cette double casquette ?
En effet, comme vous le mentionnez j’ai une double casquette.C’est-à-dire que je suis d’une part chirurgien-dentiste spécialiste qualifié en orthopédie dento-faciale ( orthodontiste exclusif ) depuis 1989 et d’autre part psychothérapeute-psychanalyste dont la formation a débuté en 2000. J’exerce bien sûr mes deux activités dans des cabinets différents.
Cette nécessité de me former à la vie psychique est venue au bout de 10 années de pratique orthodontique où j’ai commencer à « entendre » la demande et les doléances des patients sous un jour nouveau. Mon intérêt personnel pour la psychanalyse était déjà présent. Un décalage était audible entre le vu, ce qui était visible supposé objectif et cette souffrance réelle dont le patient me parlait (subjectif) . Je ne pouvais pas ne pas l’entendre. La sincérité des patients n’est pas à mettre en doute.
Pour prendre un exemple concret, parmi d’autres : alors que vous avez fait de votre mieux et que tout semble parfait en terme de résultats orthodontiques, le patient n’est pas satisfait et en souffre sincèrement. Cela nous met en échec et nous avons du mal à l’accepter comme praticien. On se croit infaillible, tout est maitrisé techniquement et le patient le plaint sincèrement de quelque chose que nous ne voyons pas comme lui.
Il faut donc un certain temps de pratique pour être confronté à ce genre de grandes difficultés.
Par la suite, mon regard clinique s’est ouvert à la demande de soins et à la prise en charge psychologique et psychothérapeutique des patients après la chirurgie voire même avant la chirurgie.
Je voudrais juste en profiter pour rappeler ceci : si le cursus de formation des orthodontistes est connu, celui des psychothérapeute l’est moins. C’est un titre nouveau. Il est soumis à reconnaissance par l’Agence Régionale de Santé. Pour cela il a fallu que je reprenne des études universitaires : un Master 2 de Recherche en philosophie et psychanalyse puis trois années pratiques (stages cliniques en psychiatrie 1000 heures ) et théoriques dans une école agrée par l’ARS pour être formé en psychopathologies. l’école que j’ai choisie est l’EPhEP. Parallèlement, je suis inscrit comme « psychanalyste membre » et en ai été en formation depuis 2000 et le suis toujours dans une association reconnue de psychanalystes.
Il faut donc du temps pour se former : du temps de vie, du temps de pratique et du temps d’apprentissage.
Nombreuses sont les personnes qui ont à la fois hâte d’être opérées et qui en même temps redoutent la période post-opératoire et la possible difficulté à accepter leur nouveau visage. Que pouvez-vous leur dire ?
Il faut toujours se méfier de la hâte. Elle peut masquer l’évitement de questions. Ce qui entraîne des difficultés après la chirurgie.
Le monde actuel va vite, exige de chacun de prendre des décisions rapides. Le temps de la réflexion personnelle est un temps précieux, je dirai irréductible, pour prendre une décision de soins pour soi-même. Réfléchir n’est pas réfléchir seul mais accompagné de professionnels de santé. Si besoin en y associant un soutien psychologique. L’idée n’est pas d’entamer un long travail introspectif mais de « se mettre au clair » avec ses craintes et ses questions quant au changement probable du visage.
Actuellement il semble que dans le cadre de la chirurgie orthognathique les patients appréhendent plus leur « nouveau visage » que la douleur comme c’était le cas au début de mon exercice. Certainement parce que le traitement de la douleur a été pris plus au sérieux que celui de la souffrance, qui est très difficile et spécifique à prendre en charge, avec l’idée que ça passera avec le temps. Ce qui est faux pour certains.
Maintenant face à l’échéance d’une date d’intervention on connaît tous, cette sensation d’être pressé d’en finir, d’être après ce que nous considérons comme une difficulté, un obstacle à surmonter en tout cas une inconnue. C’est tout à fait légitime. Y aller dans la hâte ne préserve certainement pas des difficultés post-opératoires supposées.
Avez-vous des conseils pour se préparer au mieux psychologiquement à l’opération des mâchoires ? Si oui, quels sont-ils ?
Si le patient apprend l’indication de chirurgie lors de son diagnostic chez l’orthodontiste il faudra un temps d’acceptation long. La préparation « au mieux » nécessite au moins deux choses.
La première du côté des soignants : Face au risque psychologique il faudra comme orthodontiste et comme chirurgien être attentifs à la manière dont nous annonçons l’indication de la chirurgie et prendre le temps d’accompagner le patient dans sa réflexion ; ne pas banaliser l’acte et ses effets.La seconde du côté des patients est de bien prendre le temps, en posant des questions aux praticiens afin d’être en confiance et aussi et surtout d’évaluer la période de sa vie dans laquelle on se trouve. S’il y a difficultés personnelles, professionnelles ou autres, le risque psychologique pris est alors très important quelque soit la qualité du résultat. Il ne faut rien attendre d’autre de la chirurgie que la correction de la dysmorphose. Le reste n’est pas du ressort du protocole orthodontico-chirurgical.
Dans les services hospitaliers il y a souvent des psychologues spécialisés.ées qui sont là et accompagnent les patients et les équipes. En privé il faut faire la démarche, c’est mieux si les praticiens ont des correspondants à qui adresser les patients.
J’ajouterai le rôle bénéfique pour certains des réseaux sociaux dans leur version groupe de discussion : échanger avec des pairs qui sont passés par la « même » aventure est tout à fait aidant. Je ne parle pas ici des avis nominatifs sur tel ou tel praticien. Je parle de ce qui fonctionne comme des « petits groupes de parole ». Cela permet à certains patients de se rendre compte que ce dont ils se plaignent peut être partagé, l’effet d’écoute est important aussi pour certains. C’est une écoute bien différente des « psy » bien sûr.
Combien de temps faut-il se donner après une opération des mâchoires pour accepter/apprécier son nouveau visage ?
C’est très variable.
Très souvent les adultes jeunes acceptent plus vite leur nouveau visage car ils ont l’habitude de voir leur visage se modifier depuis l’adolescence.
Pour les adultes plus âgés ça peut être plus long. La plupart commence à se ré-approprier ce nouveau visage comme le leur au bout d’un mois. Ils commencent à abandonner le contrôle permanent au miroir.
Passer ce cap difficile du premier mois, il faudra être attentif à ce que le patient ne s’isole pas socialement, reprenne une vie active et que la douleur cesse. Souvent les douleurs qui durent sont un signe de la non acceptation des résultats de la chirurgie.
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Comme vous le savez, lorsqu’on vient d’être opéré, ce n’est pas encore la fin de l’aventure et il faut encore passer l’étape de la convalescence avec son lot de symptômes divers (œdèmes, immobilisation, résultat esthétique pas encore définitif…). Pendant cette période, certains patients se sentent déprimés, pleurent, ressentent une perte de confiance en eux, ont du mal à rester positifs et n’aiment pas le “nouveau visage" qu’ils voient dans le miroir. Que pouvez-vous leur conseiller ?
Ce que vous venez de décrire sont les « symptômes psychiques» post opératoires les plus fréquents. Il faut accepter que cette opération entraine provisoirement ces états. Car c’est une aventure et pour chaque patient une aventure très attendue, investie et source d’espoirs.
C’est pour cette raison que je précisais auparavant qu’il ne faut attendre rien d’autre de la chirurgie orthognathique que la correction du décalage des mâchoires.
Les patients se connaissent et savent si ce qu’ils ressentent est un état qu’ils ont déjà connu même s’il est pénible. Ils passeront alors ce cap difficile, seuls ou entourés de leurs proches et accompagnés de leurs soignants.
Il ne faut en aucun cas rester seul dans ces temps post-opératoires.
Les résultats dits définitifs seront d’autant plus vite atteints que les patients feront fonctionner toute cette zone faciale et orale au plus vite ( en suivant les prescriptions médicales bien évidemment) , permettant à la musculature de se remettre en fonction et aussi de se rendre compte que dans les rapports sociaux , les changements dus à la chirurgie ne sont pas le centre d’intérêt de la discussion et des autres ; que la chirurgie n’a modifié que le visage mais pas le reste assurément.
Si les patients ressentent un état inédit de détresse, de non reconnaissance, de refus du visage, de perte de confiance, d’isolement, de douleurs persistantes il faut aller en alerter assez vite les praticiens ou à défaut son médecin traitant. La prise en charge psychologique adaptée doit démarrer rapidement afin de mettre des mots sur cette souffrance et commencer à s’engager dans la voie psychothérapeutique pour aller mieux et sortir de cet état.
Merci à vous Dr. Benkimoun, pour vos précieuses réponses. Nous sommes certains qu’elles viendront éclairer et rassurer nos lecteurs.
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mars 29, 2021 • Publié par Emmanuelle
Article très intéressant et qui répond aux interrogations que l’on peut avoir. Grande aide qui montre l’importance de l’aspect psychologique. Merci